François Hourmant, politiste : « Nicolas Sarkozy incarne désormais une nouvelle figure, celle du président écrivain injustement embastillé »

Un regard vif sur la stratégie qui fait d’un détenu une figure d’écrivain dans la politique française

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L’image se construit par les livres, et les livres redessinent l’image. Dans sa tribune, François Hourmant éclaire une stratégie qui mêle signes, posture et récit. En filigrane, Nicolas Sarkozy cherche une légitimité qui dépasse la scène judiciaire. Le propos reste tendu, parfois ironique, et place la littérature au centre d’une bataille symbolique où l’auteur observe le pouvoir à travers ses lectures.

Quand Nicolas Sarkozy scénarise sa lecture en signe politique

Entrer à la Santé devient une scène écrite à l’avance. Chemin de croix, Golgotha de papier, pacte autobiographique, tout sert un récit. Selon lemonde.fr, Nicolas Sarkozy se dit victime d’une machination, visé par la “haine” des juges. La souffrance nourrit une rhétorique sacrificielle, teintée de complotisme et amplifiée par les réseaux sociaux.

Ce théâtre renoue avec une habitude française. VGE sur “Apostrophes” se rêvait Maupassant. Mitterrand invoquait le frisson lamartinien. Macron posait Stendhal, Gide et de Gaulle sur son bureau. Christian Jouhaud parle de “littérarisation du pouvoir”. Depuis l’Ancien Régime, une “nation littéraire” s’affirme. Les Mémoires du Général liaient grandeur et style.

Le dévoilement des lectures n’a rien d’innocent. Le succès cinématographique de Monte-Cristo porte un imaginaire de vengeance. La vie de Jésus promet une rédemption accessible. Deux régimes se répondent, divertissement et salut. Ils composent une identité double: lecteur populaire et esprit exigeant, capable d’affronter sept-cents pages en détention pénitentiaire stricte.

Quand la posture d’auteur sert Nicolas Sarkozy

Le récit compose une ordalie. Mort sociale, puis épreuve qualifiante, enfin promesse de renaissance. Ici, la prison sert de seuil symbolique. Les “nourritures terrestres” attendront. Des témoins loquaces, Patrick Balkany et Pierre Botton, en fixent la scène. Le cœur du storytelling, pourtant, vise plus haut et construit une figure spirituelle.

Le temps suspendu devient atelier. Nicolas Sarkozy s’annonce lecteur et s’affirme auteur. Le “livre d’écrou” se mue en genre revendiqué. La plume réhabiliterait l’homme public, grâce à une transsubstantiation laïque. Le président déchu se hisse écrivain, tandis qu’il cherche une double légitimité, politique et littéraire, par la discipline et l’effort.

Pierre Bourdieu nommait cela “idéologie charismatique de la création”. Le retrait du monde profane sert de preuve. La cellule se veut monacale plus que carcérale. S’installent la solitude, l’urgence de l’écriture, l’ascèse. La vocation s’enfle, l’investissement se totalise, et le don de soi prétend se conjuguer à la France entière.

Symboles, héritages et limites d’une stratégie lettrée

La posture lettrée revient donc avec fracas. On croyait l’époque dominée par l’image du président boxeur. La virilité s’affichait, biceps tendu, sueur triomphante, contre le “cercle de la raison”. Ici, la plume remplace le gant. Le corps recule, tandis que la scène culturelle revendique de nouveau la première place publique.

Les “stylistes au pouvoir” de Revel reviennent en écho. L’union du pouvoir et de la plume se veut probante. Le panthéon lettré sert la distinction, puis la postérité. La tradition des Mémoires d’État pèse. Elle promet une grandeur durable, car l’écriture fraye, dans l’imaginaire national, un chemin vers l’autorité littéraire.

Reste une question décisive. Faute d’immunité politique, Nicolas Sarkozy gagnera-t-il l’“immunité poétique” chère à Roland Barthes? Il confessait jadis souffrir à la lecture de La Princesse de Clèves. La littérature protège parfois. Elle ne lave pas tout, cependant, et la justice suit son cours.

Ce que révèle ce récit littéraire du pouvoir contemporain

Le dispositif décrit par François Hourmant déploie une stratégie simple et lisible. La littérature devient instrument, car elle promet grandeur, récit et horizon. Le jugement du public décidera, tandis que les juges poursuivent leur tâche. Nicolas Sarkozy parie sur la plume, contre l’image brute. Le geste marque l’époque. Il redonne sens aux symboles, sans dissiper les doutes. La tradition française nourrit ce pari. La réception dira si l’écrivain l’emporte sur le justiciable.

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