Les entreprises européennes s’apprêtent à franchir un cap inédit dans leur gestion salariale. Une évolution majeure se prépare, portée par une règle européenne qui pourrait redéfinir les rapports entre employeurs et salariés. À partir de 2026, la question du salaire brut ne relèvera plus du secret, mais d’une transparence organisée, appelée à transformer durablement la culture d’entreprise et les pratiques internes.
Transparence du salaire brut dès l’embauche et au cœur des équipes
Le 10 mai 2023, l’Union européenne a adopté une directive clef, affirme france3-regions.franceinfo.fr. Son objectif est simple à énoncer et exigeant à appliquer. Assurer une rémunération égale pour un même travail ou une valeur équivalente. La transparence devient l’outil central pour rendre cette promesse concrète. Elle redéfinit les pratiques de gestion salariale.
Dès l’entretien, chaque candidat connaîtra la rémunération attachée au poste. Les annonces indiqueront des fourchettes claires et compréhensibles pour tous. Au sein des entreprises, des informations régulières structureront les échanges et les repères. Cette visibilité rapprochera le salaire brut des critères objectifs affichés. La communication interne devra suivre un rythme défini et vérifiable.
La France doit transposer ce cadre avant le 7 juin 2026. L’Islande a ouvert la voie, des États américains ont suivi, le Brésil aussi récemment. L’Europe harmonise désormais l’exigence, pour consolider la confiance et la mobilité. Les employeurs devront intégrer ces règles dans leurs process et leurs outils. Le calendrier laisse peu de marge.
Index égalité, limites actuelles et apports face au salaire brut
Depuis 2019, l’index Penicaud s’impose aux entreprises d’au moins 50 salariés. Il mesure salaires et carrières via quatre ou cinq critères. Des corrections et des sanctions existent, mais elles restent rares. En cinq ans, seules 42 pénalités ont été prononcées. 1% des sociétés l’appliquent, 26% du privé seulement couvert.
L’État fixe le minimum légal, le reste se négocie en interne. La transparence sert alors de matière aux représentants et aux directions. Pour l’Apec, afficher la rémunération au recrutement motive et élargit le vivier. La région Centre-Val de Loire ne compte que 2% des cadres. Les plateformes indiquent des repères, le blocage reste surtout interne.
Quelques entreprises ont franchi le pas sans retour en arrière. Clinitex publie depuis 2015 tous les salaires en intranet, de façon nominative. Le groupe compte 4 000 salariés, basé à Lille, avec une antenne à Orléans. La direction a revalorisé certains postes et clarifié les écarts. Le fondateur a raconté l’expérience dans “Bienvenue chez les fous” en 2021.
Inégalités femmes-hommes, outils juridiques et débats économiques
Selon l’INSEE 2023, le salaire des femmes reste 15% inférieur dans le privé. La moyenne européenne atteignait 12,7% en 2021. Le principe “à travail égal, rémunération égale” existe depuis 1983. En mars 2023, la Cour de cassation a renforcé le “droit à la preuve”. Les bulletins masculins comparables peuvent être demandés pour étayer une action.
Les métiers féminisés sont moins payés et plus précaires, rappelle la CGT. Les temps partiels et horaires décalés pèsent davantage. Beaucoup de femmes négocient moins et candidatent avec prudence. L’Apec propose du “négo-training” et invite les managers à adapter l’organisation. Des rattrapages après congé maternité apparaissent dans certaines entreprises, signe d’attention accrue.
Des économistes anticipent des effets d’équilibre discutés. Cullen et Pakzad-Hurson modélisent une baisse moyenne de 2% liée à la transparence. Des managers redoutent des justifications permanentes. FO rétorque que des hausses restent possibles sans publication nominative. Le texte autorise des différences fondées sur des critères objectifs, non sexistes, et impose des sanctions effectives.
Cap vers des pratiques salariales claires, responsables et soutenables
La dynamique s’installe entre dialogue social, attractivité et équité mesurable. Pour réussir, il faudra des critères lisibles, des process partagés et une pédagogie continue. Les repères réduiront les fantasmes, tout en préservant la reconnaissance du mérite. Bien conduite, la transparence sur le salaire brut peut renforcer la cohésion et ancrer des trajectoires salariales mieux expliquées.